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Selon certains, la Royaume-Uni de Boris Johnson aurait admirablement négocié l’accord de sortie de l’Union européenne (« Brexit ») et devrait servir de modèle pour notre pays. Le journaliste François Schaller soulignait récemment que ce traité constituerait une « lourde humiliation pour la Suisse » qui devrait « attiser la confrontation permanente entre souverainistes et soumissionistes ». Qu’en est-il véritablement ?

Les Britanniques doivent-ils se réjouir de cet accord ?

Cet accord est un traité de libre-échange de près de 1500 pages qui a pour principal objet d’encadrer les échanges commerciaux entre l’UE et le Royaume-Uni et d’éviter le retour des droits et quotas douaniers. Cependant, les marchandises devront être déclarées en douane. Concrètement, cela impliquera pour les entreprises souhaitant commercer de part et d’autre de la frontière de déclarer les importations et les exportations. Un retour en arrière important qui génère déjà son lot de tracasseries administratives (10’000 camions traversent la Manche quotidiennement). Selon une récente estimation, la Grande-Bretagne devra embaucher entre 50 et 60 mille agents des douanes pour vérifier des millions de formulaires. Succès ?

Le Royaume-Uni n’a obtenu aucune avancée pour le secteur des services, alors même que sa richesse en dépend, en particulier grâce à la City de Londres qui représente 7 % du PIB national. Londres a déjà perdu 10’000 emplois délocalisés vers certains centres européens (Amsterdam, Dublin, Francfort et Paris) sans que l’on sache anticiper la future destruction d’emplois. Avec la perte du « passeport européen » pour les produits financiers, cette hémorragie pourrait continuer, affectant gravement l’économie britannique. Succès ?

Autre barrière commerciale, le Royaume-Uni ne bénéficiera plus de l’accord portant sur la reconnaissance mutuelle d’évaluation de la conformité (ARM) qui permet aux biens produits dans un pays de l’UE d’être homologués dans leur pays d’origine et d’avoir un accès aux différents marchés de l’UE sans entrave. Un point évidemment essentiel pour l’industrie. Succès ?

Sur un plan de politique intérieure, l’Irlande du Nord restera intégrée aux règles de l’UE et il fort probable que l’Irlande du Nord rejoigne la République d’Irlande à moyen terme. Succès ?

Last but not least, l’Ecosse – qui a voté pour son maintien au sein de l’UE – estime qu’une élite anglaise emmenée par Boris Johnson lui a imposé sa sortie de l’UE. Le risque qu’un second référendum ait lieu et que la population écossaise accepte cette fois-ci son indépendance du Royaume-Uni est important. Succès ?

Les Suisses doivent-il suivre l’exemple ?

La Suisse pourrait être tentée de suivre cette voie et résilier les accords bilatéraux. De fait, la population suisse a refusé en septembre dernier de résilier ces accords en rejetant clairement (61.7 %) l’Initiative « Pour une immigration modérée ». Mais, nous pourrions certes revoter.

Sans les Bilatérales avec l’UE, l’alternative suivante s’offrirait à nous : soit accepter d’organiser nos rapports avec l’UE conformément à ce que prévoient les règles de libre-échange de l’OMC avec des droits de douanes très importants, soit engager de nouvelles négociations avec la Commission européenne en vue d’obtenir un accord semblable à celui trouvé entre la Grande-Bretagne et l’UE. La première option ne mérite pas d’être discutée tant elle serait catastrophique pour notre économie.

La seconde constituerait un retour en arrière très dommageable pour la Suisse, tant pour son économie que pour sa place au sein de l’Europe. En effet, sans accords bilatéraux, nous ne bénéficierions plus de l’accord ARM. Nos entreprises devraient alors faire certifier leurs produits dans l’UE engendrant coûts, lenteurs et tracasseries administratives. Nous ne bénéficierions plus de la libre circulation des personnes qui permet l’engagement facilité de collaborateurs européens qualifiés et offre aux Suisses l’opportunité de travailler au sein de l’Union européenne. Nous renoncerions aussi à l’espace Schengen qui permet une collaboration efficace entres les justices et les polices du continent, essentielle en cette période troublée. On peut citer d’innombrables autres avantages, non exhaustifs, comme le domaine du transport terrestre et aérien, la recherche et l’innovation, les échanges académiques Erasmus, …. En d’autres termes, la Suisse a connu 20 années de succès économiques grâce à la voie bilatérale, nous permettant de maintenir un chômage historiquement bas et un état social fort pour la cohésion de notre pays.

Enfin, sous l’angle géopolitique, la Suisse est un petit pays au cœur du continent. Nous ne pourrons pas, à l’avenir, répondre seuls aux défis socio-économiques et politiques. L’UE et la Suisse sont interconnectées et dépendantes l’une de l’autre. Si nous avons fait le choix de ne pas appartenir à l’UE, notre intérêt réside dans un partenariat étroit, dynamique et solidaire pour le bien de notre continent mais surtout pour la défense de notre souveraineté.

L’accord du Brexit n’est très certainement pas un succès pour le Royaume-Uni. S’en inspirer constituerait assurément une grave impasse pour la Suisse. Il est temps que le Conseil fédéral prenne ses responsabilités et s’engage avec conviction dans la défense de l’Accord cadre pour pérenniser nos relations avec l’UE.